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La notion d’empowerment

La notion d'empowerment est à la mode. Augmenter le pouvoir d'agir des personnes et des groupes, qui irait contre, dans cette période de multiplication des situations "d'impuissance acquise"?
Cousine de la notion de résilience cette notion ne risque t'elle pas de produire une double stigmatisation : les personnes en difficultés étant responsables de leurs difficultés et, en plus, n'étant pas assez résilientes, pas assez en capacité?

Pour répondre à ces questions, voyons quelles sont les définitions. Qu'est ce que l'empowerment ? Lors d' un colloque récent, Jean-Pierre DESLAURIERS note la difficulté des francophones pour traduire ce terme : "Or, ce qui nous a d’abord frappé, c’est justement la difficulté de traduire le mot empowerment en français. Évidemment, il s’agit d’un obstacle auquel se butent depuis belle lurette les Québécois, de même que les autres francophones d’Amérique, mais cette question est revenue suffisamment de fois dans les conférences et les conversations pour mériter qu’on s’y arrête. Certains ont renoncé à traduire ce terme et l’utilisent tel quel ; en revanche, d’autres se sont acharnés à trouver une traduction qui leur convienne. Les suggestions furent nombreuses : pouvoir d’agir ou capacité d’agir (Le Bossé), appropriation du pouvoir (Rondeau), acteur de soi (Ferrand- Bechman). D’autres, dont Lucie Fréchette, l’ont relié à des pratiques apparentées comme la conscientisation, l’éducation populaire, la participation, l’approche structurelle, la prise en charge, l’alternative sociale, la transformation sociale, l’organisation communautaire." voir son article

Je propose un lien entre cette question et, sur ce site, le compte rendu d'un cours de Marc Henri Soulet : " nous sommes face à la montée d'un nouveau modèle socio-culturel et l'état social se transforme pour coller à ce nouveau modèle, individualiste. Un nouvel individualisme qui pose un certain nombre de problèmes : ce qui est en jeu est la subjectivation ; dés lors les ratés de la construction de la subjectivité constituent un enjeu majeur. Avant la déviance était le raté majeur de la subjectivation, désormais c'est le manque d'autonomie. L'exclusion n'est pas l'enjeu majeur, mais la mal-intégration. Pour un certain nombre ce mal être est tel qu'il impose une intervention sociale. Lire ce cours

"La logique est de faire davantage de l'usager un acteur et donc de réintroduire la compensation. Critique du droit sans obligation. Ceci implique un basculement de la notion de citoyenneté. L'idée de citoyenneté était d'être éligible à des droits sociaux. Marshall parle du passage d'une citoyenneté juridique puis politique puis sociale. Il y a un basculement tendanciel : il ne peut y avoir de droits sociaux sans obligation, c'est : donnant-donnant."
Si on suit cette logique une nouvelle règle apparait qui permet de comprendre certaines ambigüités de l'empowerment : le devoir de participer socialement, de chercher activement à construire sa place.
Les personnes en difficultés sont alors d'abord définies par un défaut individuel ou collectif de participation.
Ce que montre Yann le Bossé c'est que l'échec peut être tout aussi bien attribué à l'état :
"On assiste à une remise en question de plus en plus ouverte du caractère technocratique et dominateur du traitement des problèmes sociaux. Les tendances à la double victimisation (par exemple, blâmer les personnes pour les difficultés qu’elles éprouvent) ; à l’infantilisation (par exemple, traiter les personnes comme si elles étaient dépourvues de compétences) et à la stigmatisation (assimiler la totalité des personnes à ce qu’elles vivent (femme battue ou assisté social) sont aujourd’hui bien connues pour leur effet iatrogène sur la population (Lee, 1994 ; Seidman et Rappaport, 1986 ; Sarason, 1976 ; Ryan, 1971).
De telles tendances ont eu des conséquences directes sur l’incapacité des personnes concernées à prendre part activement à la résolution de leurs difficultés (Breton, 1994 ; Sarason, 1981).
Devant l’effet conjugué de cette pénurie de ressources professionnelles et la remise en question des pratiques qui les accompagnent, on a vu progressivement émerger une nouvelle logique d’action, fondée sur le partage des expertises et des perspectives d’intervention (souvent baptisée le « welfare mix » ; Lesemann, 1988).

Hier cantonnés dans des rôles secondaires, la communauté et les aidants naturels sont aujourd’hui devenus des partenaires aussi précieux qu’incontournables dans un contexte de désinstitutionnalisation et de désinvestissement de l’État"

"Ce qu'il y a de révolutionnaire dans la notion d'empowerment c'est que la définition de ce qui fait problème et des solutions enviseageables repose sur une négociation avec les personnes concernées et non sur la base d'un "diagnostic". Il s'agit d'un changement de paradigme en ce sens où c'est la fin de la toute puissance de l'expertise professionnelle".

Pour en savoir plus, voir le site web : www.erudit.org/revue/nps/2003/v16/n2/009841ar.html

Date de cet article : 2010-01-21