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Individualisme et Etat social. Cours de Marc-Henri Soulet

1° cours de Marc-Henri Soulet le 13 décembre 2002 au CNAM, chaire de travail social.

Marc-Henri Soulet dirige la chaire de travail social de Fribourg ( la plus ancienne du monde francophone).

Individualisme et Etat social
Marc-Henri Soulet propose d'interroger l'évolution de l'Etat social à partir d'une hypothèse : nous sommes face à la montée d'un nouveau modèle socio-culturel et l'Etat social se transforme pour coller à ce nouveau modèle, individualiste. Un nouvel individualisme qui pose un certain nombre de problèmes : ce qui est en jeu est la subjectivation ; dés lors les ratés de la construction de la subjectivité constituent un enjeu majeur. Avant la déviance était le raté majeur de la subjectivation, désormais c'est le manque d'autonomie.
L'exclusion n'est pas l'enjeu majeur, mais la mal-intégration. Pour un certain nombre ce mal être est tel qu'il impose une intervention sociale
Après une introduction le basculement de l'Etat social sera présenté en quatre temps :

  1. examiner les explications de ce basculement ; voir à chaque fois qu'elles sont fondées, mais aussi qu'elles sont insuffisantes
  2. qualifier l'hypothèse de l'apparition d'une modernité tardive, une 2° modernité : le problème de l'individualisme ne se joue plus de la même façon
  3. Montrer ensuite que l'enjeu est la crise de la subjectivation
  4. montrer comment cette crise de la subjectivation permet de comprendre la recomposition de l'Etat social

L'Etat social de grand papa c'est fini.
Si le terme « 30 glorieuses » est abusif, pendant les « 30 non glorieuses » les choses ont évolué. En Suisse la tendance est la même : il y a 26 Etats providence, 26 régimes d'aide sociale, 10 revenus minimum (la partie alémanique ne l'a pas mis en œuvre) ; mais par delà les différences on voit la même évolution.
A l'exception des Etats-Unis, qui n'ont pas d'Etat providence, ou de la Grande Bretagne, qui l'a démantelé, l'Etat social de grand-papa s'est créé autour de l'idée de dette : la collectivité a une dette et doit réparer les inégalités sociales. Il s'agit d'une dette collective en rapport avec la pérennité de la collectivité.
La technique de l'assurance permet de mutualiser les risques au profit de l'intégration. M-H Soulet propose de différencier :

  • intégration de
  • intégration à
Dans le 1° cas, la référence est Durkheim et la dynamique cohésive de la société. On ne peut intégrer quelque chose qui n'a pas de réalité.
Cela se paie d'un prix : ça vise des populations cibles, avec une départicularisation des situations individuelles ; il faut que les risques soient sociaux..
Réduire les problématiques individuelles à des risques sociaux. ; cf Wrigt Mills « l'imagination sociologique » ; les épreuves individuelles de milieu par rapport aux enjeux collectifs de structure ; la socialisation des besoins.
Ce mouvement n'a pris que parce qu'il y a une carotte au bout : la pérennisation de la société se fait avec un objectif de promotion sociale. Il y a une réduction des inégalités par la redistribution.
Il y a un équilibre entre la pérennisation de l'agencement social et la promotions des individus, avec une promotion inégalitaire, au profit des moins favorisés.
Il y a une délégation à l'Etat de la redistribution.

Critique de l'Etat social.
Voir « le fléau du bien » de Philippe Benetton et l'idée que l'inégalité ne trouve pas seulement ses causes dans le système économique mais est aussi imputable à l'Etat social. Exemple : les trappes de pauvreté
Cf. la critique par Rosanvallon de l'Etat providence : le problème est que cette machine à indemniser ne produit que des droits de tirage, rend passif et pousse plus vers l'assistance que vers le travail.
Le passage du welfare au worfare
Donzelot parle de « la fin des porteurs de pancartes », renvoyant à un Etat ne réagissant qu'à la pression des groupes pour augmenter leurs droits.
Raisonnement de l'imputation et de la responsabilisation.
Dans cette critique, l'Etat social ne sait plus coller aux problèmes ; il a perdu sa chair, il n'est plus incarné. L'idée est que l'Etat doit se rapprocher des individus, coller aux plus près des individus, viser l'intégration à
Le défaut de la forme antérieure de l'Etat social est qu'elle fait des bénéficiaires passifs des ayants droit. La logique est de faire davantage de l'usager un acteur et donc de réintroduire la compensation.
Critique du droit sans obligation. Ceci implique un basculement de la notion de citoyenneté. L'idée de citoyenneté était d'être éligible à des droits sociaux. Marshall parle du passage d'une citoyenneté juridique à une citoyenneté politique puis sociale.
Il y a un basculement tendanciel : il ne peut y avoir de droits sociaux sans obligation, c'est : donnant-donnant. Schéma de la contre prestation. Le worfare a contaminé tous les Etats sociaux. Mais dans le donnant-donnant, qui donne d'abord ? En France, en Suisse, on pense que c'est à l'Etat de donner d'abord. Dans d'autres pays on pense que c'est à l'individu de donner d'abord, de montrer sa bonne volonté.
Coller au plus près des individus suppose de changer de modus operandi : il s'agit de s'adresser aux individus pour qu'ils reprennent place, avec une mise en avant de la particularité individuelle.
L'Etat social va être davantage sélectif, mais en même temps attendre des gens plus actifs. Donnons les moyens, charge aux gens de faire les efforts de réinsertion.
L'individu devient donc de plus en plus la cible, pas seulement au niveau des objectifs, mais aussi comme niveau des problèmes.
Rosanvallon parle d'Etat social biographique. Comment l'Etat peut-il coller à l'individu ? La responsabilité se déplace du collectif à l'individu, que ce soit en termes de responsabilité ou de capacité.
Tout cela n'est pas la simple volonté de quelques idéologues. Il n'y a pas un Deus ex machina mais une lame de fond qu'il s'agit de comprendre.
Cf : Martuccelli, « la grammaire de l'individu » et l'idée qu'il y a 5 supports, 5 piliers de l'individuation.
Quelles explications ont été données?D'une part : on n'a plus les moyens de nos ambitions ; d'autre part : cet instrument n'est pas efficace. Samuel Harrington montre, fin des années 50, l'autre Amérique. Mais la pauvreté semble alors résiduelle. Il y a 5 ou 6 ans, on a découvert qu'il y a des pauvres en Suisse.

A) la crise de fonctionnement
L'Etat social coûte cher, il y a un écart grandissant entre financements et coûts, ce qui implique des coupes dans les dépenses. La crise économique, le développement du chômage... mais les budgets sociaux n'ont cessé d'augmenter. Le problème est donc celui de l'allocation des moyens. La thèse du financement réduit ne tient pas la route : il y a une modification des destinataires qui s'est faite sur une représentation moins solidariste et plus responsabiliste.
Un des enjeux importants d'aujourd'hui, RMI ou allocation universelle, est : quel est le principe de solidarité ? Jusqu'ici on a fonctionné sur un schéma très Durkheimien : la solidarité organique. Nous étions rétribué parce que nous contribuions (les femmes par extension). Quelle type de solidarité avoir avec des exclus ?
L'idée qu'il y aurait du hors social n'a pas de sens, mais la métaphore produit des effets : Cf. Michel Messu, "la société protectrice". L'exclu est quelqu'un qui est "en dehors du dedans". Gaulejac : un exclu c'est quelqu'un qui n'a pas la chance d'être exploité. Si je suis exploité j'ai une place, je peux me battre.
Quelle solidarité avec l'exclu : il ne fait pas partie des nôtres, il n'est pas utile.Exemple : la coupe du monde de foot : l'entraineur peut souder le groupe contre, par exemple, contre "les rosbifs". Il peut choisir la complémentarité des joueurs. Comment les remplaçants peuvent-ils être solidaires ?. Il y a les "coiffeurs", ceux qui sont là pour remplacer les remplaçants. Comment un tel joueur peut-il être solidaire ? On a pris celui qui revendiquera le moins. Quel principe de solidarité mobiliser ? Même déplacement de la responsabilité : fais la preuve que tu peux être utile. Être membre d'un groupe ça se mérite. La solidarité, à partir d'une dette collective, donne des garanties, pas la charité.
Idée de transformation qualitative de la clientèle : on ne rééduque pas un chômeur ; c'est différent du travail éducatif : la demande est d'abord matérielle. Je n'ai pas de problème, aidez moi à trouver les supports pour me réinsérer.
Les catégories éclatent. A côté des anciennes inégalités structurelles se rajoutent des inégalités conjoncturelles, dynamiques, processuelles, des inégalités intra-groupes.Exemple : deux frères venus de l'Atlas travailler chez Renault, l'un à Flins, l'autre à Villevorde. L'un a pu continuer à travailler, l'autre pas. L'exclusion a des processus individualisés.
La question sociale tourne autour de l'exclusion. Derrière il y a la question de la solidarité, de ce que c'est de vivre ensemble.La modification de la clientèle c'est moins : on a plus de SDF ou moins de familles monoparentales, mais plutôt la question de la valeur : qu'est-ce que c'est d'être humain, homme ou femme aujourd'hui ?
Avant la valeur c'était la contribution. Vous valez parce que vous contribuez. On avait jamais pensé qu'un humain puisse avoir de la valeur en dehors de la contribution.Avec un schéma contribution-redistribution, comment rétribuer celui qui ne contribue pas ?
La question est alors celle de l'appartenance, avec un déplacement de la question de la valeur sur celle de l'appartenance. En Suisse c'est le droit du sang ; on peut être étranger de père en fils. Il y a 26% d'étrangers, dont 22% des travailleurs. Plus c'est difficile de devenir Suisse, plus être Suisse a de la valeur. Les non-Suisses ont des droits sociaux mais pas le droit de devenir propriétaires.Les droits de l'homme : nous sommes tous frères, est un moyen de régler la question de l'appartenance.
Troisième modification : que reste-t-il à celui qui n'a plus de valeur ? Qu'est-ce qui est commun aux hommes au delà de leur utilité ? Nous sommes des puissants, nous pouvons agir , il y a des degrés de mesure mais nous pouvons agir. Les impuissants, qu'est-ce qui leur reste? la dignité.
La dignité comme antithèse de la puissance. Je ne demande pas à être traité dignement ; si vous ne me traitez pas dignement je réagirai. La dignité est invoquée face au mépris.
Questions de l'appartenance, de l'utilité et de la dignité.

B) La critique du manque efficacité.
Pour un certain nombre de raisons, les politiques sociales n'atteignent pas leurs buts et les populations concernées, ou ont des résultats inverses, notamment avec les trappes de l'assistance : il faut que le bénéfice du travail soit supérieur à celui des minima sociaux. Exemple par rapport à l'allocation parent isolé : l'effet pervers est la répétition de grossesses tous les trois ans.
Autre exemple, le travail d'Agnès Pitrou sur les solidarités familiales : les dispositifs de prise en charge de la petite enfance, prévus pour les plus pauvres sont utilisés massivement par les classes moyennes. Il y a un détournement de la politique initiale.
D'où l'idée de logiques plus souples, plus ciblées et le développement de mesures dites d'urgence, attaquant les principes fondamentaux.
Comment fonder en raison le fait qu'on attribue en urgence des logements à des exclus alors que d'autres attendent plusieurs années ?. Cela attaque le principe d'égalité. C'est un délit de faciès à l'envers : il faut faire la preuve de son besoin, savoir le mettre en scène.
Le principe d'équité est différent de la logique de l'égalité et différent de la logique du besoin mais juste par rapport à l'équilibre entre ce qui est donné des deux côtés. C'est la collectivité qui fixe ce qui va être donné.
Cf. John Rawls : le principe d'équité à partir de l'acceptation de l'inégalité, avec trois niveaux :

  1. respecter le principe de liberté
  2. respecter le principe d'égalité des chances
  3. favoriser les plus défavorisés
Problème : le « voile d'ignorance » est fictif car le choix des plus défavorisés est politique.

Pour en savoir plus, voir le site web : books.google.fr/books?id=GosakEq4t4gC&printsec=frontcover&dq=marc-henry+soulet&source

Date de cet article : 2010-05-04


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