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Par-delà les silences. Non dits et ruptures dans les parcours de migration, par Pascale Jamoulle

Présentation de l'éditeur
"Issu d'une enquête de terrain de deux ans en Seine-Saint-Denis, cet ouvrage donne la parole à des migrants récemment arrivés et à des familles immigrées de longue date. En se racontant, hommes et femmes, jeunes et parents sortent collectivement du silence. Ils relatent le « travail de l'exil », d'épreuve en épreuve, et questionnent les métissages socioculturels, d'une génération à l'autre, dans les quartiers populaires. Au cœur de leurs vies, les « trous de mémoire » des familles et les « blancs » de l'histoire des migrations se conjuguent aux non-dits actuels de la société française et de son modèle d'intégration.
Parmi ces personnes, nombreuses sont celles qui vivent une triple rupture : avec leur passé (quand il ne leur est pas transmis), avec leur langue et leur culture d'origine (quand celles-ci sont censées disparaître) et avec la réussite sociale en France (quand elles se sentent mises au ban).
La plupart ont connu différentes formes de précarité et parfois de violence, liées aux histoires personnelles, mais aussi aux problèmes de séjour, aux dominations de classe, de race et de genre. Ces parcours montrent, en effet loupe, les tensions sociales, les souffrances de l'exil, les impasses du métissage quand prévalent l'aveuglement, le mutisme et les relégations."

Pascale Jamoulle a présenté cette recherche lors d'une journée organisée par la Mission Métropolitaine de Prévention des Risques (MMPR)
Voici une prise de notes de cette conférence :
Au début de cette recherche j'ai ressenti un tremblement identitaire : je n'avais jamais vu un service aussi engagé auprès des usagers et des professionnels, la force collective de la mission ; des soirées pour m’emmener, pour interpréter les données, un travail qui fait passer la recherche du coté de l'intervention ; un savoir faire qui m'a beaucoup appris. Sur un nouveau terrain on est toujours vulnérable.
Pendant plusieurs années j'ai écouté des migrants, des familles ;au départ plutôt que les conduites à risque, l'idée était de comprendre le travail de l'exil, la personne qu'on devient quand on rencontre une nouvelle culture. On se reformule dans un processus jamais achevé.
Le travail de l'exil, ce qui l'enrichit, et ce qui le trouble ; réfléchir au métissage, qui se poursuit de générations en générations chez des gens qui n'ont pas voyagé, sauf si on pense aux quartiers d'exil. Si l'exil travaille les migrants il travaille aussi les sociétés d'accueil On a besoin d'exil pour vivre, sinon une société s'enferme dans la répétition, hors des richesses
Les richesses de la migration peuvent se muer en pauvreté quand les gens se trouvent confinés, exploités, sans recours, en insécurité.
Cette enquête a des limites : elle porte sur la question de la précarité , pas sur l'ensemble de l'immigration ; mes interlocuteurs sont des personnes qui ont vécu 10, 20, 30 ans sans papiers ; des gens qui ont dégringolé de terrasses en terrasses, ça ne peut être associé au parcours de tous les migrants. Mais quand il y a une forte pression il y a un effet loupe.
Je me suis vite aperçue que l'histoire de la migration, on en parlait peu dans les structures, dans la vie publique ; une pudeur à laquelle je n'étais pas habituée ; en Belgique on le droit à la singularité des cultures, on négocie tous, ça donne de bons négociateurs et parfois pas de gouvernement pendant longtemps ; on en parle, c'est un constituant premier, on en est fiers. Comme étrangère je portais un modèle, différent du modèle très universaliste, républicain, inculqué en France dés le plus jeune âge, substrat d'une difficulté à parler des migrations.
Pour beaucoup de professionnels, c'est dangereux, c'est marquer une différence entre eux et nous.
Crainte qu'une enquête sur les grandes sagas migratoires produisent des différences, ouvre une boite de Pandore, de moralement malsain.
Une dimension très protectrice du silence des professionnels. S'ils n'abordent pas la question des papiers, ça permet de laisse la porte ouverte, alors qu'il y a des prescriptions
Bien qu'il ait des dimensions protectrices, avec des dimension indispensables, universalistes, il y a un prix à payer : le silence, des entrelacs de silences sur les migrations.
Je vais prendre les même étapes que celles qu'ils mont racontées.
L'ambivalence du départ puis l'arrivée ici, puis comment ils sont devenus parents, avec ou sans papiers et puis les pistes de prévention, ce qu'il aurait fallu faire.
L'avant : le sentiment d'exil existait déjà là-bas : tout le monde ne part pas ; sauf dans les situations de fuite, il y a déjà dans la vie là-bas de l'ambivalence. Faire des liens entre l'être là-bas et ici.
Les départs prenaient forme dans des histoires très ambivalentes, les dimensions politiques, familiales sont très enchevêtrées.
Il y a

  • Les réfugiés psychiques, qui ont connus des drames, des abus, des abandons inénarrables, partis pour mettre de la distance, pouvoir se reconstruire ailleurs, s'apaiser, laisser derrière eux des trauma très lourds.
  • Ceux qui ont été aux prise avec la violence politique, l'inhumanité, l’humiliation, la peur des menaces d'anéantissement, l'horreur et l'impuissance
  • Ceux qui n'avaient aucun projets de migration mais étaient déjà errants aux pays = l'abandon précoce, une errance qui débute au pays ; pas investis, ils passent les frontière. Ni la famille ni la communauté n'ont pu faire ancrage
  • Les femmes rebelles qui veulent s'émanciper, échapper au mariages forcés, aux violences conjugales
  • Les enfants envoyés en éclaireur
  • Les artistes qui partent pour déployer leur créativité.
La plupart sont partis par un puissant désir d'être autre chose de ce qu'ils étaient au pays.
Ils sont partis chercher la vie, avec une part de risque. Dans leur vie d'avant, dans leurs projets, la distinction faite en Europe entre immigration légitimes ou illégitimes, ça n'a aucun sens. Des problèmes de perspectives.
Suivent des violences. Ces dimensions sont tues. Des conditions de création psychique mais aussi d’effondrement. Des difficultés que rencontrent les individus, qui produisent des conflits exacerbés.
1) les polytraumatismes, avant, pendant le voyage, à l'arrivée, travail marqué par ses vécus traumatiques.
Les gens ont des tas de forces, des talents, mais aussi la peur de l'autre, de l'avenir, sentiment que le lien peut être facilement dangereux. Les enfants des rues qui retrouvent ici leur marginalité
2) la difficulté, que JC Mettraux nomme « les filiations rigides à des communautés menacées » ;
Les migrations souvent commencent par l'entre soi puis ça s'ouvre, sauf s'il y a peur de se dissoudre dans la société d'accueil ; repli et tout un tas de problèmes avec les enfants, les rigidification.
3) L'assimilation mimétique de ceux qui ont fui la coutume qui leur a fait violence, des vécus génocidaire : tendance à couper, à se désocialiser. Une tentative désespérée pour ressembler ; d'autant plus si ceux qu'on imite vous exclut ; se désamarrer rend vulnérable
4) la difficulté, la plus importante, c'est l'inhospitalité de la société d'accueil ; on a vu toute la diversité des profils, et pourtant les difficultés reformatent les personnes qui tendent à se ressembler

2° étape des récits : l'arrivée ici ; se cacher se taire, survivre ; le vécu de sans papiers est fondamental dans la construction des troubles, c'est central, se rendre invisible, se taire, être exploité, « le couloir des exilés », refuges précaires, les campements les squats les hôtels de marchands de sommeil
Avoir des stratégies de survie. Il y a les ressources subjectives et les opportunités.
Deux grandes filières : l'économie grise, hors taxes, et puis les trafics ; on est beaucoup plus loin dans l'économie grise ; bien sûr les gens sont exploités par leurs proches et par des employeurs avec des gens de passage qu'on peut exploiter jusqu'au bout ; délocalisation sur place, pas besoin d'aller à l’étranger.
Mais cette économie a des formes de régulation, les gens font des apprentissages, trouvent des alliances pour faire avancer leur dossier ; Ces personnes trouvent à se régulariser, ce qui n'est pas le cas dans l'économie de la rue.
Le passage c'est souvent l’incarcération ; surveillés ils sont souvent raflés, ils n'ont pas les codes pour vivre la prison, ils s'effondrent, et n'obtiendront plus de régularisation et là il ne reste que l'économie de la rue, là les sans papiers rejoignent tous les autres « sans », les galériens, sans familles, sans droits, Il n'y a plus que l'addiction pour se défendre
  • plus les gens vieillissent, moins ils ont de « capital guerrier »
  • les gens âgés, à 50 ans, sont maltraités et deviennent de petits rabatteurs
  • ils sont « a topos », sans lieux, ne peuvent revenir car personne ne va s'occuper d'eux là-bas. Ils ne peuvent être régularisés
Pourquoi les scènes de crack s'étendent en Seine-Saint-Denis : parce que le nombre de personnes dans cette situation s'étend Ils sont reformatés par le dénuement durable

3° étape : le faire famille
Beaucoup n'ont pas fait famille, mais beaucoup ont perdu des enfants jeunes. Des gens ont un étayage très important avec la famille là-bas, un élément essentiel, mais quand même pour beaucoup la séparation est très douloureuse alors qu'ils savent que leur départ a précarisé leur famille, ils sont en dette. Ils ne peuvent dire pourquoi ils n'aident pas, il ne peuvent dire la réalité, la masquent, les proches harcèlent, les migrants coupent le contact pour ne pas être submergés.
Autre difficulté : les enfants quand on a des amours de passages ; la grande précarité construit des dyades mères enfants.
Des tas de migrants ont leur famille comme point d’attache ; capacité d'attachement, de résistance, d'étayage sur la famille qui protège.
Mais les liens familiaux résistent peu à l'exploitation, à la prison.
S'attacher c'est se montrer vulnérable.
Pour les personnes exploitées, elles perdent leur faculté de défense , affaiblies ne savent pas se protéger ; beaucoup de femmes rencontrent la violence masculine
Leurs parcours a fragilisé leurs habilités relationnelles.
La loi est censée les protéger mais sans titre de séjour, elles sont réduites au silence : risque d'un dossier qui les dessert
Des formes de dépersonnalisation qui les atteints et aussi leurs enfants Parfois pas d'autres solutions que se marier pour les papiers, des mariages d'amours, des mariages blancs.
Les mariages gris = d'un côté des jeux de charme pour avoir les papiers, mais la vie devient grise car atteinte par le doute dans les liens les plus proches : pourquoi est-il, est elle avec moi : des rancœurs, l'alcoolisme, les médicaments, dans des vies où le gens ne trouvent pas leur place.
La question de la parentalité : beaucoup d'enfants perdent leur père : quelle est mon histoire ?
Des mères en rue, où ballottées de lieux en lieux.
L'importance de l'école.
Des enfants qui vont se replier, les facultés cognitives atteintes,avec de l'inhibition ou de l'agressivité.
Que vont devenir ces enfants ?
Il y a la crainte des psychiatres par rapport à l' agitation. On peut attendre qu'ils se révoltent : comment pourront ils aimer la France après ce qu'ont vécu leurs parents ?

4° partie : les pistes de prévention Comment protéger ces parent, ces enfants, réduire les prises de risques ?
S'articuler sur deux axes, l'accompagnement et le travail avec les communautés.
Les femmes qui rentrent dans l'esclavage domestique et les violences conjugales et les hommes qui tombant de terrasse en terrasse aboutissent aux scènes de crack.
L'aide juridique précoce ; c'est le point aveugle, on a terriblement besoin de compétences, je ne les avais pas, les professionnels en ont besoin.
Des tas d'associations actives qui peuvent offrir des formations pour que les gens aient la bonne information. La question des sans papiers depuis 10, 15 ans : s'ils n'accèdent pas à des papiers, pas de logements.
Des personnes très vulnérables ont besoin de papiers, au cas par cas, par le préfet.

2° axe : la réduction des risques de la vie en clandestinité, c'est le prendre soin collectif, le care.
Prendre soin des gens être près d'eux. Les postures engagées qui partent des besoins des personnes.
Le travail avec les communautés précarisées ça qualifie les p précarisées leur permet de participer au monde commun. Restaurer des confiances dans les liens
La prévention des violences faites aux femmes : violence domestique et violence conjugales. Les femmes doivent pouvoir porter plainte. IL faut des formations dans les commissariats.
Quand elles accèdent à l'hébergement, elles se reconstruisent ; toutes n'ont pas besoin d'hébergement mais certaines en ont vraiment besoin, et sans exigence de carte d'identité

Le 4° axe : le travail préventif et collectif dans les centres d'hébergement : prévenir les violences des gens poussés à bout. Aider les hommes à sortir des scènes ouvertes.
Mais quand les gens ont la sécurité, ce qui resurgit c'est tout ce qui a été mis de côté, la tendance à répéter les lignes de leurs structures : paranoïa, délire ! : être formé à la clinique ; l'importance des groupes de pairs, essentiel, les groupes de femmes, d'hébergement.
Une prise en charge longue et sécurisante ça permet de s'entraider ,les conseils de maison...
Conclusion
Quand les personnes sont reléguées, elles se reformulent dans les lieux de relégation ; beaucoup sont arrivées avec de multiples talents et on voit combien la situation de clandestinité affaiblit, toutes les blessures anciennes se ravivent, augmentent le désamour de soi ; trouver de l'aide va alimenter la sécurité de base pour résister à la précarité, à l'exploitation inhérente à l'exploitation dans la vie de sans papiers.

Les conduites à risque manifestent des détresses sans nom. Travailler à rendre la vie des gens plus plausibles. Les gens continuent à migrer dans les marges sociales.
Produire des narrativités qui donnent places aux parcours, aux affects.
Soutenir le travail de l'exil et le travail de métissage, dans la construction de références identitaires apaisées ; être passeurs de monde et réduite l'impact des conflits.

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Par-delà les silences. Non dits et ruptures dans les parcours de migration, par Pascale Jamoulle [1ère de couverture]

Par-delà les silences. Non dits et ruptures dans les parcours de migration, par Pascale Jamoulle [1ère de couverture]


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