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Philippe Fabry » Livres » Catherine Sellenet : Avoir mal et faire mal

Avoir mal et faire mal, par Catherine Sellenet

Ce livre montre l'intérêt de la posture de l'auteure : son travail de chercheur en sociologie et en sciences de l'éducation s'appuie sur une expérience de terrain. Ayant travaillé 10 ans en tant que psychologue à l'aide sociale à l'enfance, elle connait de l'intérieur l'action des travaileurs sociaux de la Sauvegarde de l'enfance (ADSEA, principale association de protection de l'enfance de Loire Atlantique) ; elle connait aussi les familles des enfants placés.

Ce livre rend compte d'un projet original et ambitieux : faire dialoguer des travailleurs sociaux et des parents d'enfants placés, collectivement, analyser leur représentation de la violence éducative.

Le sous titre "approche de la violence en famille et en institution" dit bien l'objet du livre. C. Sellenet se réfère au projet de Bourdieu dans "la misère du monde" (dont je conseille vivement la lecture du dernier petit chapitre de ce livre "Comprendre") "porter à la conscience des mécanismes qui rendent la vie douloureuse voire invivable... de donner à voir ce que pensent, ce que souffrent "ceux d'en bas" et mettre ainsi la science du sociologue au service de l'action politique"
Le début du livre est utile aux étudiants car il résume très clairement les trois axes de la parentalité definis par le "groupe Houzel"(dont C.Sellenet fait partie) et la notion de suppléance definie par P Durning et D Fablet. Ces outils sont ensuite utilisés pour analyser la place des parents et des professionnels pendant les mesures de placement. Ce qui apparait alors est un écart important entre le "discours officiel" de soutien de la parentaité et les pratiques, les règles implicites qui produisent une souffrance chez les parents : la parentalité empêchée. Les éducateurs remplacent trop vite les parents, pour aller à l'école, chez le médecin, pour la véture ; surtout les parents sentent qu'il faut toujours demander des autorisations, "passer par l'éducateur" Je propose d'être très prudent avec ce genre de comparaison car l'expérience montre que les problématiques à la base d'une orientation en foyer ou en famille d'accueil sont différentes, l'âge des enfants aussi. De plus quand un enfant est confié en famille d'accueil à la sortie de la maternité ou de la pouponnière, la probabilité d'un placement long est élevée; enfin le placement d'un adolescent en foyer ne peut pas être de longue durée, par définition.
Ceci posé, reste la question de la parentalitée empêchée et plus généralement le manque de moyens, de temps, d'outils pour soutenir les parents pendant les mesures de placements.

Le 2° chapitre, "du côté des professionnels : souffrances et violences dans les institutions", expose l'intensité des émotions ressnties par les professionnels dans la tension contradictoire entre identification aux enfants et identification aux parents.La souffrance est aussi liée aux paradoxes de l'aide contrainte, de l'association (voire l'intrication) des missions de soutien et de contrôle. Il y a aussi une violence à l'intérieur même des institutions, au niveau des statuts, rôles, fonctions, des dénis de reconnaisance.
La violence de ces différentes émotions pose les questions de la régulation institutionelle et du soutien apporté aux professionnels. Faute d'un soutien suffisant , le burn out guette.

Le troisième chapitre, "Situations de violence intrafamiliales et interventions des professionnels analyse les causes des placements des enfants (voir les tableaux p 57 à 62). Comme dans le rapport Naves Cathala les carences éducatives restent la 1° cause de placement (51,5%), suivis par les problèmes relationnels entre parents et enfants (22,7%) puis les conditions de vie précaires (17,5%) puis les problèmes de couple/violence (13,4%), puis toxicomanie des parents (dont l'alcool) (12, 4%), Abus sexuels (6%) et négligenges graves (6%)
La parole des parents est très importante à ce sujet. Pour eux la violence psychologique est plus douloureuse, plus destructrice, "plus toxique". La violence conjugale est souvent vue uniquement à travers les coups, mais les parents disent combien les paroles , les attaques sur sa lignée, sur la sexualité, sur l'identité, font mal."Le scénario est d'autant plus efficace qu'il est orchestré, inlassablement répété, et surtout qu'il vient confirmer chez chacun des failles narcissiques très profondes." (p 67). Les témoignages montrent les "pièges relationnels" dans lesquels beaucoup sont enfermés.

Il y a donc un processus, qui fait penser à celui décrit par Paugam, et qui pourrait se nommer "la disqualification familiale", qui associe les souvenirs, les traces des violences éducatives subies et les violences conjugales de l'adulte identifié à ses parents. Les parents qui s'expriment pointent cette répétition qu'ils constatent aussi chez leurs enfants qui deviennent violents à leur tour.
A noter, l'importance de la violence vécue par les enfants du fait qu'ils sont témoins de la violence entre leurs parents.

La situation "Antonin" demande une lecture attentive. L'intrication de problématiques complexes : conflits de couple, abus sexuel, questions sur des pathologies psychiatriques chez les parents, comportements difficiles ou déficitaires des enfants... L'analyse montre bien la situation difficle des professionnels quand la représentation des troubles n'est pas stabilisée. L'analyse qui suit montre l'importance de la formation des travaileurs sociaux quant à ces problématiques qui les confrontent à la confusion des places, des langages, de la pensée (voir les différentes références théoriques).

Ce livre montre au passage les effets du travail de groupe avec les parents. Mettre des mots, analyser les représentations, repèrer les rituels de la violence est possible avec un soutien. Ce soutien, efficace (on en voit plusieurs témognages dans ce livre), est beaucoup trop rarement proposé.

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Avoir mal et faire mal, par Catherine Sellenet [1ère de couverture]

Avoir mal et faire mal, par Catherine Sellenet [1ère de couverture]


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