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Le ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd'hui., par Didier Lapeyronnie

Ce grand livre, retraçant dix années d'enquête, est remarquablement présenté par Didier Lapeyronnie dans la vidéo ci-dessous et montre la force de l'approche ethnologique : l'immersion, l'observation, l'écoute, la restitution et le dialogue avec les habitants qui permet d'aborder la complexité de la situation des quartiers, l'enfermement qui protège, l'ambivalence dans toutes les relations,le quartier prison et cocon, les solutions collectives qui protègent mais empêchent aussi les individus de vivre.



Dans la présentation d'un autre livre, "Refaire cité, l'avenir des banlieues", Didier Lapeyronnie décrit trois grandes périodes dans l'évolution des cités, chacune marquée par une révolte emblématique.
Première période, les années 70. A peine a t-on fini de construire les cités qu'émergent les problèmes de chomage, de mixité raciale, une période de décomposition, avec l'épisode des Minguettes (en parallèle de grandes émeutes en Grande Bretagne, la décomposition politique des quartiers rouges, de protections. Une décomposition politique mais les habitant revendiquent, ne se sentent pas marginalisés ; il y a des formes d'optimistme malgré les obstacles. Dés cette époque la question des rapports avec la police est présente, il y a des formes d'actions politiques, les marches. des réactions politiques ouvertes, lutte contre le chomage, contre la délinquance, appuyée sur les acteurs locaux ; les ZEP, Développement Local des Quartiers.Des taux de chomage très inférieurs à aujourd'hui. Cf le livre, "la galère", le film "le thé au harem d'Archimède".
Cette période prend fin de façon brutale en octobre 90 avec les émeutes de Vaux en Vélin suite à une bavure policière ; dans une cité qui avait bénéficié de plusieurs réalisations. Des pillages puis une vague d'émeutes violentes, à Trappes, Sartrouville, Genevilliers, avec des morts.
Une rupture profonde, car le climat change profondémment : plus personne n'y croit, ni à l'extérieur ni à l'intérieur. Disparaissent toutes les références ouvrières. Repli sur la famille, l'individu, la consommation, avec une marginalisation urbaine. Les gens disent qu'ils ne se sentent pas citoyens. Abandon des espaces publics, désertification associative. Le développement d'une sous-culture de la rue. Les jeunes comme seuls acteurs visibles, l'insécurité, l'installation des traffics, structurant les quartier. La mise en place d'une politique de la ville n'embraye pas, arrivant de l'extérieur. Cela dure une dizaine d'année jusqu'aux émeutes de 2005.
Troisième période : la fermeture brutale de l'Occident après les attentats de 2011 et la marginalisation d'une population racialisée.
Quatre grandes caractéristiques : la fermeture de la cité, avec des gens qui ne connaissent personne à l'extérieur. Exemple, dans des cités du 19° arrondissement, des gens n'avaient jamais vu la Seine, n'étaient jamais allés à la Villette. Une violence qui irrigue l'ensemble de rapports : des pressions, pas seulement lièes au traffics mais un mode de gestion d'un univers fermé ; les commérages, la violence interne. La rupture politique avec les institutions.
Jusque-là les gens avaient le sentiments de pouvoir s'appuyer sur elles, ensuite elles deviennent un obstacle, y compris les bénévoles dus restos du coeur, de l'épicerie sociale, qui vous permettent de rester dans votre univers, mais pas d'aller au-delà. D'où des tensions, les gens essayant de tirer des bénéfices sans adhèrer aux normes diffusées par ces institutions. Les difficultés avec le monde scolaire sont évidentes, elles sont récurrentes avec la police et sont traitées par les gens sous la forme d'une économie morale de la discrimination.
Les gens ne pensent plus en termes d'inégalités sociales, mais en termes de trajectoires, ils se perçoivent comme des gens discriminés. Le thème de la discrimination envahit tous les rapports avec les institutions.
Cela a des effets sur les professionnels, travailleurs sociaux, policiers, enseignants, qui doivent reconstruire leur légitimité à chaque intervention.
La quatrième évolution c'est la situation des femmes. C'est un changement très profond, depuis une quinzaine d'années, on voit la situation des femmes se dégrader progressivement. Il ya eu un rappport de l'ONZUS, l'observatoire des zones urbaines sensibles qui le montre : les femmes sont de plus en plus soumises à des pressions, de plus en plus enfermées, de plus en plus pauvres. elles ont de plus en plus de mal à sortir de l'univers du quartier. C'est lié à l'économie morale de la discrimination. On voit la religion se développer, ressource de justifications et grammaire de la vie quotidinne pour réguler ce fonctionnement interne.
De plus en plus de fermeture, de ghettos à l'intérieur des quartiers, une façon d'affronter les difficultés. Cela ne veut pas dire que le quartier est un ghetto, mais il y a des ghettos dans le quartier, plus ou moins selon les quartiers et cela dessine des configurations;
Deux choses sont difficiles à cerner mais font partie du diagnostic : d'une part la grande variété des situations que l'on peut observer entre les quartiers et qui tiennent à différents facteurs. Si l'on prend l'exemple de la rive droite de Bordeaux, par exemple et que l'on compare avec Clichy sous- bois, c'est extremement différent, les gens de Bordeaux sont plus riches. C'est différent aussi entre les quartiers des grandes villes et des villes moyennnes où le niveau de participation urbaine est beaucoup plus faible. Dans le même quartier, l'ambiance (difficile à quantifier) change et ça pèse beaucoup sur la vie des habitans. Pour des raisons très diverses, arrivée de nouveaux habiatants, évenements... Un monde trés sensibles aux conjectures, soumis à des instabilités qui pésent.
La répétiton des émeutes. Apparues dans les années 70, elles sont devenues récurrentes. Il n'y a pas de trimestre sans qu'il y ait des émeutes. Il y a trente ans cela faisait la une des journeaux, aujourd'hui, de nombreuses émeutes, plus ou moins violentes, restent inaperçues. Elles sont installées, ritualisées, avec les mêmes causes, les mêmes discours, qui traduisent la même chose : la marginalisation politique de cette population qui n'accède pas à une représentation.
En Seine Saint denis, la majorité des gens ne sont pas blancs, c'est encore plus net pour les jeunes. Si vous regardez la photos des élus : esssentiellement des gens qui me ressemblent, des hommes blanc, la cinquantaine, trois femmes, un noir et un arabe. Quand on parle de fermeture du système, c'est une réalité puissante. Toute une partie de la population n'accède plus à cet univers.
Cette marginalisation symbolique et pratique se traduit par du vide. Le ghetto est une façon de remplir le vide, comme d'autres façons, parfois plus discutables, comme l'antésémitisme.
Cette marginalisation politique invalide toutes les politiques que l'on peut mettre en oeuvre : au lieu d'être considérés comme des acteurs, ils sont considérés comme des problèmes, ce qui accroit la marginalisation et le vécu de stigmatisation.
Si vous considérez que la sécurité sociale est une conquète populaire (ce n'est pas le cas) et que vous estimez que vous avez droit à un secours de la communauté, ce n'est pas du tout pareil qu'un droit que l'on va vous donner parce que vous êtes un pauvre type qu'on ne va pas laisser crever. Dans le premier cas l'aide à une signification politique et la personne qui la donne a une légitimité politique. Dans le deuxième cas l'aide est reçue comme illégitime, une façon de vous laisser à l'écart. Le travailleur social, l'enseignant est obligé à chaque fois de reconstruire la légitimité de son acte, elle ne va plus de soi. Quand il n'y a plus d'intégration politique, il ya des intégrations marginales.
Si ça ne marche pas pour des raisons politiques, il faut repenser l'action politique et les formes d'intervention sur des bases beaucoup plus politiques.
Accepter une norme collective suppose d'avoir été associé à l'élaboration de cette norme. Sinon, vous ressentirez que la norme que l'on essaye de vous imposer au travers des aides est quelque chose d'arbitraire, qui vient de l'ectérieur et vous marginalise.
Il faut donc remettre l'intégration politique au coeur des politiques sociales;
Cela s'inscrit dans l'histoire de la question sociale ; c'est ainsi que l'on a résolu la question ouvrière : on a intégré politiquement les ouvriers avant de les intègrer socialement, au travers des syndicats, des grèves. Travailler à fabriquer des acteurs, à aider les acteurs à se former à l'intérieur des cités .
Un tryptique : s'appuyer socialement sur la force des femmes. Pour les hommes, il est trop tard pour les sauver du désastre : ça part d'une observation assez simple. Lagrange a fait des observations comparables. Dans les crises les hommes ont tendance à se replier sur des conceptions très traditionnelles des rôles familiaux et de les imposer aux femmes. Elles sont plus actives, animent les associations. Ce sont elles qui maintiennent les liens avec les associations. Il faut concevoir une aide accrue à cette capacité.

Deuxième aspect : construire une société civile, des luttes sociales. A partir des conflits les rapports des gens à eux-mêmes sont plus positifs. Exemple à Saint-Ouen, avec des femmes qui reprennent en main leur espace public. Troisième niveau : remettre du politique dans les quartiers.


Dans la vidéo ci-dessous, Didier Lapeyronnie décrit l'évolution des relations entre les milieux populaires et l'école.
Familles populaires et école : chronique d’une séparation Didier Lapeyronnie


Voir la présentation du livre par Clément Rivière sur lectures.revues.org

Voir aussi le texte sur le ghetto noir de Chicago cité par D Lapeyronnie au début de sa conférence.
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Le ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd'hui., par Didier Lapeyronnie [1ère de couverture]

Le ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd'hui., par Didier Lapeyronnie [1ère de couverture]


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