philippefabry.eu, pour la formation en travail social


Philippe Fabry » Formation » Cours et conférences en lignes » Denis Salas et le populisme pénal

Denis Salas et le populisme pénal

L'affaire Laetitia, au delà du crime atroce, a été l'occasion, pour l'ensemble du monde judiciaire, d'exprimer son malaise sur ses conditions de travail. Denis Salas est magistrat, auteur "du procès pénal" (sa thèse), et plus récemment de "la volonté de punir, essai sur le populisme pénal".

Le texte qui suit est issu d'une prise de note de l'interview de Denis Salas par Antoine Garapon, dans son excellente émission "le bien commun", sur France culture

"Il faut remonter au delà de notre siècle, à la fin du 18° siècle, au moment de la fronde des parlementaires contre la monarchie absolue. En refusant d'enregistrer les édits royaux, en soutenant la doctrine de l'unité de classe, ils ont recherché à construire un contre pouvoir. Avec l'état napoléonien, ils ont rejoint les corps constitués et ne sont plus apparus comme un contre pouvoir. Là il y a la question du rapport de la magistrature avec les victimes et le fonctionnementde Nicolas Sarkozy cherchant à rencontrer systématiquement les victimes, le peuple des victimes, dans la même fusion émotionnelle et la même réactivité pénale.
Le judiciaire est au contraire dans la distance, la prudence, la balance égale entre l'auteur et la victime. Il ne a pas du tout chercher à incarner la demande victimaire. Les juges coupables ? Dans un flux émotionnel permanent, alimenté par les médias, ce retournement peut s'opèrer contre la magistrature. Comme le judiciaie a peu de porte-paroles dans l'opinion et que le politique a un accès permanent aux médias, la balance est déséquilibrée.
Le concept de populisme pénal remonte à 2005, avec un discours relayant la souffrance des victimes et demandant dans le même temps une sévérité pénale accrue. Surtout dans les périodes éléctorales aux Etats-unis. Le discours de Nicolas Sarkozy s'inspire de cela. L'annonce du remplacement de juges professionnels par des jurys populaires, la dénonciation du laxisme des juges, de leur inadaptation ou de leurs fautes, tout cela ne pouvait que heurter frontalement les juges.
Leur trouble vient de ce qu'on leur demande quelque chose pour lequel ils n'ont pas été formés : on leur demande non plus de porter un jugement de droit sur des faits passés mais un jugement de faits sur des faits à venir. Prévenir la récidive : est-il possible d'anticiper l'avenir scientifiquement ? Qu'est-ce que ça exprime d'une société qui voudrait vivre sans crime. Concernant la prédiction, les analyses actuarielles sont très répandues aux Etat unis et au Canada et insuffisament en France.
Décalage du discours politique d'un horizon sécuritaire sans crime, discours utopique ! Camus : l'avenir est la seule transcendance des sociétés sans Dieu. On nous promet un avenir sur, sans crimes, c'est irréaliseable. Le mouvement des juges vient rappeler la réalité : voici le nombre de dossiers, les armoires pleines, les situations concrêtes.
Nous ne pouvons aller au delà de ce que le réel nous impose. cette contradition entre le réel et le discours politique est au coeur de la révolte juducuaire actuelle. Perversion des mots. Quand on perle de juges anti-terroristes,quand on parle de juges des victimes, les mots sont dangereux ; la justice n'est pas cela, mais la rencontre entre des parties qui ont des droits. L'usage abusif du mot montre situe dans un imaginaire. Le point de vue politique et le point de vue judidiaire sont différents. il y a des agresseurs et des victimes mais aussi des êtres humains des deux côtés. L'humanité est universelle, et pas seulement du côté des victimes. L'exorcisme ça n'est pas la justice. La justice propose des médiations imparfaites, avec des ressources finies. Dans le mouvement actuel on a énormément de chiffres : difficultés à payer les experts, manque de greffiers, chiffres du conseil de l'Europe par rapport aux dépenses judiciaires.Les ervices de probation sans moyens, on sait depuis très longtempes qu'ils font des arbitrages faute de moyens. C'est parce que le politique, pris dans une frénésie judiciaire, ne fait pas de choix que les services judiciaires dans chaque cabinet sont obligés d'en faire.
Ces choix ne sont pas légitimes, on ne peut pas légitimement dire : on laisse tomber cette affaire ; c'est donc aussi un éclairage sur ces arbitrages que la crise actuelle permet. On se heurte à une véritable difficulté : l'incohérence du legislateur. La justice se réforme par la jurisprudence de la cour du Luxembourg, par la cour de cassation, par les juges eux mêmes (/ au rôle du parquét) mais le législateur ne s'est pas prononcé là dessus. Et en même temps qu'il constate que les juges sont débordés, le legislateur alourdit considérablement leur travail en leur confiant le contrôle des hospitalisations d'office .
En même temps un mouvement souterrain est une réforme de l'état de droit avec trois dimensions : le conseil supérieur de la magistrature qui s'exprime alors que théoriquement il n'en n'aurait pas le droit (il a rappelé qu'il est le seul décideur disciplinaire) ; la réforme du conseil constitutionnel et la question préalable de constitutionalité, réforme essentielle ; la réforme du parquet et de la garde à vue. Tout aménagement de peine va être de droit pour les peines de moins de deux ans.
Remettre la politique dans un temps long. Le durcissement pénal a multiplié les gardes à vue au point de dépasser les 800.000 par an au nom de la lutte contre l'insécurité. Et c'est la cour européenne des droits de l'homme, la cour de cassation, qui sont venus dire : nous allons trop loin. Nous sommes allés trop loin dans une logique sécuritaire, retrouvons la logique de l'état de droit ; un droit de la garde à vue qui soit compatible avec le droit européen. Les cours suprèmes ont donné des limites à l'executif. On est dans un coup par coup au niveau politique, du fait du quinquénat ; le politique perd sa place d'arbitre et le juge retrouve sa place, celui du temps long, celui de la délibération démocratique.
Les juges se plaignent mais les institutions se transforment profondémment. En s'abimant dans un horizon temporel beaucoup trop court, l'excutif ouvre un espace aux juges.

Pour en savoir plus, voir le site web : champpenal.revues.org/582

Date de cet article : 2011-02-21


Philippe Fabry » Formation » Cours et conférences en lignes » Denis Salas et le populisme pénal