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L'autisme aujourd'hui : les travaux de Michel Lemay et de son équipe à l’hôpital Sainte Justine (Montréal)

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Résumé de l’entretien entre Yannick Villedieu et Michel Lemay (sur Radio Canada) à propos de son livre « L’autisme aujourd’hui» paru aux éditions Odile Jacob. 

Michel Lemay travaille depuis 40 ans avec des enfants en difficulté et depuis 20 ans à Sainte Justine, à la demande de l’hôpital et d’une association de parents. 

Michel Lemay : Cela a d’abord concerné quelques enfants, puis plusieurs services ont été créés et la section autisme est une des sections parmi d’autres concernant les troubles envahissants du développement. Au départ on est devant une maladie mystérieuse, à la limite de la neurologie, de la pédiatrie, de la psychiatrie. On a fait des hypothèses, certaines ont été vérifiées, d’autres sont encore vérifier. L’autisme a été découvert par Léo Kanner en 1941 qui a eu le génie de distinguer l’autisme infantile, qui s’appellera ensuite autisme de Kanner . On pensait alors que l’autisme était rare, de l’ordre de 3 à 4 pour 10.000. Puis au fur et à mesure qu’on a mieux connu ces enfants on s’est rendu compte qu’il y a des formes très profondes, celles qu’on avait reconnues dés le départ et qu’il y avait aussi des formes plus légères. On estime actuellement (Fonbonne) à 60 pour 10.000 le nombre de ces enfants,ce qui n’est pas négligeable. 

Yannick Villedieu  : Au départ, dans les années 50, 60 on ne parlait pas toujours d’autisme, mais aussi d’enfants psychotiques.. 

ML Oui, la nomenclature française était assez différente de la nomenclature anglo-saxonne, mais on parlait surtout de psychoses infantiles, et le mot autisme était fort peu connu et puis les choses se sont approfondies, il y a beaucoup de recherches au travers le monde, et le mot autisme s’est distingué en Amérique du Nord des psychoses infantiles, tandis qu’en Europe, France, Belgique, Suisse, on continue d’utiliser le terme de psychose infantile, ce qui n’est pas simple(s) dans les colloques internationaux car on est pas sûrs de parler de la même chose.

 YV : c’est un problème fréquent en psychiatrie, le problème de la nomenclature. 

ML : on pourrait voir ce que ça n’est pas ; l’autisme ce n’est pas une psychose, ça n’est pas de la schizophrénie, ça n’est pas un trouble de l’attachement, trouble lié à des négligences, des maltraitances, à des problèmes de lien dans la petite enfance et qui, parfois donne des signes qui ressemblent à ceux de l’autisme. Ça n’est pas un trouble du langage (même s’il y a des troubles du langage(s) associés mais ça n’a rien à voir avec un trouble pur du langage). Ça n’est pas de l’hyperactivité mais certains enfants hyperactifs peuvent ressembler à des autistes. Donc tout un diagnostic différentiel à faire, très compliqué, et on tend actuellement à intégrer l’autisme aux troubles envahissants du développement. 

YV : alors ça veut dire quoi « troubles envahissants du développement » ? 

ML : le terme est discutable. Envahissant ça veut dire que ça envahit toute la personnalité. On peut parler d’un trouble envahissant du développement quand trois domaines sont concernés : d’une part l’enfant petit ou plus grand(s) a du mal à rentrer dans une relation de réciprocité ; il peut avoir le langage mais le langage ne lui permet pas de parler à l’autre. Dans la communication réciproque il y a bien questions-réponses. Cette zone est atteinte chez l’autiste et chez ceux qui sont atteints de troubles envahissants du développement. Le deuxième domaine est celui de processus de symbolisation : le langage, les jeux imaginaires qui jouent un grand rôle chez l’enfant ; il y a le graphisme, le dessin, toutes les constructions de jeux de faire semblant, toutes ces formes sont insolites, profondément perturbées. Parfois certains de ces enfants n’arrivent pas à imaginer des jeux et sont très entravés dans leur communication avec les autres. Le troisième domaine est celui des préoccupations inhabituelles, les comportements répétitifs et les anomalies sensorielles, par exemple ces enfants vont tenir dans leur main un petit objet dur qu’ils tournent éternellement entre leurs mains, ils ne peuvent pas s’en dessaisir, comme si s’ils s’en dessaisissaient ils ressentiraient un très grand malaise et accentueraient leur retrait. Quand les trois domaines sont atteints, on parle d’autisme, quand il y en a 2 sur 3, on parle de troubles envahissants du développement, par exemple non spécifié et on rentre alors dans des diagnostics différentiels plus compliqués. 

YV : l’autisme n’est pas non plus un déficit, un retard intellectuel. 

ML : on y a pensé au départ quand on retenait l’hypothèse de Léo Kanner, on pensait que l’autisme s’accompagnait automatiquement d’une déficience intellectuelle. On sait maintenant que c’est faux, il y a une petite proportion d’enfants, pas plus de 3% qui ont cette atteinte profonde, les autres ont une pensée autiste, mais pas de déficit intellectuel. Par exemple les autistes Asperger sont des enfants extrêmement brillants sur le plan intellectuel, seulement ils n’utilisent pas leur intelligence dans le sens de la communication mais dans le sens d’une autosuffisance, pour se réfléchir et non pas réfléchir avec l’autre. 

YV : Nous allons essayer de comprendre avec vous, en quelque sorte de l’intérieur, ce que c’est qu’être autiste. 

ML : Si on décrit l’enfant typique autiste, c’est un petit garçon ou une petite fille qui arrive dans votre bureau… 

YV autant de garçons que de filles ? 

ML non, il y plus de garçons, ce qui pose une question étiologique. Donc un petit garçon, une petite fille, qui arrive et qui ne présente aucun stigmate corporel mais qui à la fois est vigilant, on a l’impression qu’il regarde absolument tout dans la pièce, mais qui ne va pas se diriger vers nous et, tenant par exemple un objet dur dans la main va éternellement tourner cet objet dans sa main, puis à partir de là va se créer un monde isolé, un monde étrange, où l’on va se sentir à la fois attiré par cet enfant, c’est un enfant qui est beau, qui a tout pour attirer la communication mais qui ne l’engage pas, qui n’attache pas le regard, ne s’intéresse pas aux jouets que nous lui proposons, qui erre dans la pièce, qui se créée une petite zone dans la pièce en solitaire, qui répète le même geste, par exemple les mains dans un mouvement que nous appelons les ailes de papillon, qui approche les objets de lui en les mettant davantage sur le côté de son œil ; il le regarde non pas de face, mais l’explore, se couche par terre et regarde plus le plan des objets. Les représentations de cet enfant sont particulières.

 YV : il est dans sa bulle autistique…

ML : dans une sorte de bulle, euh le mot bulle est à la fois vrai et faux, il est dans sa bulle mais il va aussi venir vers nous essayer de nous flairer, s’il dispose du langage essayer de dire des choses, mais il est dans un monde particulier qu’il faut essayer de comprendre et rejoindre.

YV Ce monde particulier, c’est tout votre chapitre deux, vous essayer de nous faire comprendre presque de l’intérieur, ce que ressent cet enfant-là, c’est d’abord des perceptions auditives, visuelles… vraiment étranges…

ML alors on peut dire qu’il y a tout un ensemble de processus qui s’additionnent, plus ou moins marqués selon les enfants, chacun est différent. La première chose est qu’on remarque que ces enfants vont se fixer sur une seule stimulation. Alors quand ils sont petits ils vont passer des heures à regarder la lumière au plafond.

YV : un stimulus ...

ML : oui, ça peut être un stimulus sonore, une lallation, ils vont s’enfermer dans cette lallation, ou bien ils vont tourner un objet dans leur main et la sensation tactile leur semble extrêmement importante

YV mais ils ne peuvent pas avoir en même temps une sensation auditive et tactile et analyser les deux ...

ML Ça c’est la deuxième caractéristique : non seulement ils s’isolent sur un seul stimulus mais il semble, et quand ils sont plus grands ils nous le disent, ils ont énormément de difficultés à pouvoir réunir plusieurs sensations ou plusieurs informations à la fois. Il y a une sorte d’isolation dans un seul stimulus, une seule information, ou quand l’enfant est plus grand, une seule préoccupation et c’est cela qu’on appelle la bulle : si on rentre dans sa préoccupation, l’enfant réagit avec nous, mais si on essaie de lui proposer autre chose, il se crée une sorte de sensation d’envahissement chez cet enfant et, il accentue le retrait. Dons isolation dans un seul stimulus, difficulté d’effacer le stimulus

YV il reste reste prisonnier de lui parfois pendant des heures .

ML parfois les enfants nous disent, je vais vous raconter une anecdote, un enfant enfermé dans les dessins successifs de labyrinthes. Je lui mets à côté de lui un beau jouet, une maison de poupée, et il devient intéressé par la maison de poupées, il y va mais il retourne à son labyrinthe et je lui demande qu’est ce qu’il se passe et il me répond : « je ne peux pas me débarrasser du labyrinthe dans ma tête ». Le sujet est comme paralysé par ce stimulus. La quatrième caractéristique est qu’on découvre que ces enfants n’explorent pas le monde de la même manière que les autres. Ce que nous faisons habituellement, au niveau visuel par exemple, ils n’examinent pas de la même façon et ça n’est pas dû à un problème visuel

YV Ça on l’a éliminé comme problème.

ML oui, ils ont tendance à mettre l’objet sur la périphérie de leurs yeux

 YV : c’est curieux cela !

ML : ils se couchent par terre ils vont regarder longuement les roues tourner, donc le plan de déplacement de l’objet, au détriment du fonctionnement habituel, regarder l’ensemble et découvrir que c’est un camion ou un train ; non c’est la petite roue qui va l’intéresser.

YV un détail dans un ensemble ...

ML comme si ces enfants n’arrivaient pas à globaliser, fascinés par des détails ; ils sont même étonnamment observateurs de détails, mais réunir ces détails pour en faire une globalité est extrêmement difficile.

YV : par exemple vous leur montrez la photo d’un jardin public .

ML c’est un test classique, nous les mettons devant un poster qui représente un parc par exemple ; c’est évident pour tout enfant, c’est un parc et bien ils nous répondent, ils ont vu sur un coin du poster un petit chien, et sur la laisse une petite tache que nous n’avions jamais remarquée et l'enfant va avec une observation prodigieuse nous désigner cette perception, mais va rester prisonnier de cette perception au détriment de la perception de l’ensemble.

YV : C’est vraiment cette image de ne pouvoir percevoir l’ensemble et d’être pris dans un détail...

ML : et alors si c’est vrai sur le plan visuel, c’est régulièrement vrai sur le plan sonore, ce sont des enfants qui à la fois semblent mal entendre –on va faire des audiogrammes- il y a des sons qui nous semblent désagréables ils n’y réagissent pas, et brusquement ils semblent entendre des sons que nous n’entendons pas –combien de parents nous disent : « c’est curieux cet enfant va nous dire qu’un camion arrive 30 secondes avant que nous nous puissions entendre ». Ce sont aussi des enfants qui face à certains sons semblent souffrir et plaquent la paume de leurs mains sur les oreilles. La même chose sur le plan tactile : ils n’aiment pas les contacts superficiels. Quand on les caresse, ils n’aiment pas beaucoup. Par contre quand on les masse profondément, là ils adorent ça. Ils marchent sur la pointe des pieds comme si la plante c’était trop. Donc qu’on soit dans le sonore, le visuel ou le tactile, le gustatif –les parents savent que ces enfants sont très capricieux sur le plan gustatif et ne veulent que certaines textures alimentaires, quand il y a plusieurs aliments dans leur assiette, il faut vraiment qu’ils les isolent, ils vont encore s’occuper d’un détail.

 C’est cela qui est central, cela entraîne une représentation particulière du monde, ça va déclencher une construction particulière de l’identité : si je n’entends pas la voix de ma maman comme je devrais l’entendre, si je ne repère pas les réactions émotives du visage, si je ne m’intéresse pas à la globalité de la pièce dans laquelle je me trouve ; si le jouet que l’on m’offre c’est la petite roue qui me fascine, on comprend bien qu’il va se construire un monde étranger et si nous nous ne mettons pas à la place de cet enfant, et c’est très difficile car nous ne percevons pas la même chose que lui, si nous nous ne mettons pas à sa place, nous le plongeons dans un monde qu’il ne peut pas comprendre et nous aggravons les troubles.

YV on imagine que c’est un enfant qui doit beaucoup souffrir ; je vais lire un petit passage de votre livre : Michaël ,qui a 15 ans, vous dit –« ça va mieux qu’autrefois, j’ai compris qu’il faut dire bonjour, répondre quand on vous parle, tout ça m’a pris du temps, mais ça y est, c’est réglé, mais il dit pour le reste il faut se débrouiller au jugé, en découvrant qu’on a visé juste ou qu’on s’est trompé, sans savoir pourquoi. Plus je suis dans un groupe, surtout s’il y a des filles,- c’est un petit garçon qui parle- c’est plus l’épreuve est difficile, je vois bien qu’ ils me regardent comme un phénomène, moi je peux juste leur dire : « moi je suis un Asperger » , (c’est une forme d’autisme nous en reparlerons), comme d’autres diraient « je suis chinois » mais le chinois on peut en apprendre la langue, eux ils n’ont aucun dictionnaire pour me comprendre, et moi, je ne peux pas me servir du leur. Ça ça traduit cette détresse que doivent vivre beaucoup de ces enfants là. Quand ces enfants sont capables de s’exprimer, par le langage, par le dessin, ils disent tous la même chose. Ils ne comprennent pas pourquoi les autres enfants ne viennent pas vers eux. Ils se perçoivent comme des particuliers. Certains ont d’ailleurs une belle expression pour cela, ils disent : « vous, vous êtes des neuro-typiques et nous nous sommes différents, il faut que vous nous acceptiez différents »

YV : ils ont inventé ce mot là « neuro-typique»

 ML : les adolescents et adultes ont commencé à créer ce terme pour nous désigner en disant : « il faut que vous déplaciez vos perceptions si vous voulez nous rejoindre, et nous aussi bien sur nous avons à faire un effort dans ce sens .

YV : et vous qui avec 30 ou 40 ans d’expérience avec ces enfants, vous y arrivez ?

 ML : on y arrive parfois.

YV : pas toujours .

ML : non, il m’arrive parfois de rêver, de me dire : si je pouvais être dans leur peau, pendant une dizaine d’heures, comme ça m’aiderait à pouvoir les comprendre

YV :  vous n’y êtes pas arrivé ?

ML :  je fais l’hypothèse que j’arrive, mais comment voulez vous savoir si j’y suis arrivé puisque nous sommes face à deux mondes.

 YV : vous dites d’ailleurs : «que peux tu éprouver, enfant autiste, dans ce grand enfermement qui nous emprisonne à notre tour». Vous vous sentez, vous, emprisonné face à cet enfermement de l’enfant ?

ML : oui c’est une des choses que les parents aussi sentent très fort et que l’intervenant sent quand il essaie de vibrer, de rentrer en communication avec ces personnes, c’est que le fait de ne pas avoir les mêmes modes d’intégration, de ne pas utiliser le langage de la même façon, probablement de ne pas percevoir le corps de la même manière, le fait que l’espace, le temps, n’ont pas la même signification que pour nous, tous les points de repère qui permettent d’avoir une identité semblent différents, et par là même ils nous confrontent à un défi formidable, celui de pouvoir 1) les accepter, 2) les écouter, 3) essayer de les rejoindre, 4) de pouvoir enfin dialoguer avec eux.

 J’ajouterai d’ailleurs que ce sont des enfants qui gèrent leurs émotions de manière très différente. Certains paraissent hypo-sensibles, il faut s’en méfier : ils accumulent, ils accumulent, puis à un moment donné ils éclatent.

YV: parfois ils éclatent et il peut y avoir de la violence.

 ML : oui, dans cette accumulation. D’autres vont nous dire des choses étranges, ils vont avoir le sentiment d’être traversés par des stimulations, que leur corps est fragilisé, donc la gestion des émotions est différente.

 YV : un mot ou quelques mots, des parents, qui réalisent un jour que leur enfant ne réagit pas « normalement », et là quand les parents viennent vous voir j’imagine que la rencontre est délicate, vous dites qu’il faut être authentique avec les parents, qu’est-ce qu’il faut leur dire aux parents ?

 ML : c’est évidemment tout un drame que le parent va découvrir peu à peu ; le parent perçoit, surtout s’il a eu d’autres enfants auparavant, que son petit garçon ou sa petit fille, ne communique pas de la même manière que les autres enfants. Bien sur il y a souvent une phase souvent de négation, une phase où le parent se dit ça va passer, et puis la réalité éclate, surtout, un pédiatre ou une infirmière, un proche va dire « tu crois pas que tu devrais consulter ? ton enfant ne communique pas de la même façon que les autres, et ils nous arrivent à la clinique et nous avons, avec énormément de respect à recueillir les observations des parents. Nous avons aussi à pratiquer une évaluation la plus détaillée possible, pour être sûr ou à peu près sûr(s) du diagnostic et nous avons un jour à annoncer aux parents «oui, il y a bien des signes de nature autistique, ou non, là nous pouvons affirmer qu’il est engagé dans un processus autistique».

 YV : vous dites qu’il faut être authentique avec les parents, mais vous dites des choses dures....

 ML : Dans un diagnostic aussi grave que celui de l’autisme – on l’améliore mais on ne le guérit pas- notre rôle n’est pas seulement d’annoncer, mais aussi de repérer des émergences, oui car il y a tout ce que je viens de vous exposer mais il y a aussi un enfant qui dans certaines circonstances, grâce à certaines attitudes, grâce à certaines activités, communique mieux. Ces émergences sont capitales, le parent en a d’ailleurs souvent repéré, nous nous en repérons pendant l’évaluation que nous faisons avec eux et il y a aussi à essayer de donner un sens à ce qui à première vue est un non sens.

 YV : et pour enlever soit la révolte soit surtout la culpabilité chez les parents, parce que ça doit venir très vite çà aussi.

 ML : oui d’autant plus que pendant longtemps il y a eu un message qui a été donné par le courant psychanalytique et qui a été de dire que les troubles autistiques étaient créés par les parents, soit par leur inconscient, soit par des situations extrêmement angoissantes qu’ils avaient fait vivre à leur enfant, et ça il faut le répéter : c’est totalement faux !

YV : ce n’est pas ce que vous voyez dans votre clinique.

ML : ce que je vois dans notre clinique et ce message qui a été envoyé, s’explique par une période, mais doit être maintenant complètement éradiqué : nous avons à faire à un handicap neuro-perceptuel et nous n’avons pas à faire à un handicap créé par des relations perturbantes de départ. Ça ne veut pas dire qu’avoir un enfant handicapé n’engage pas parfois le parent secondairement dans des relations perturbantes, mais c’est secondaire, ce n’est pas primaire.

YV : nous allons maintenant aborder deux questions : Y a t’il un ou des autismes et ensuite quelle est la cause du ou des autismes? Pour parler de cette variété des autismes, on a vu qu’il a des formes d’autisme profond, d’autres autistes très brillants, avec des talents exceptionnels, alors, un ou des autismes?

ML : Il y a des autismes dans leurs formes, ce qui ne nous avance pas beaucoup du côté des causes. Est-ce un autisme qui crée de multiples formes ou selon l’intensité de l’isolation, l’intensité des perturbations sensorielles les capacités plus ou moins qu’a l’enfant de gérer ses émotions, les capacités intellectuelles sauvegardées ou non, selon la possession ou non de son langage, a-t-on des formes différents d’autisme ? Oui en prenant en compte tout ce que je viens de dire, on a des formes différentes. Il a la forme la plus grave, l’autisme profond, dans laquelle l’enfant n’arrive pas à établir de communication avec son entourage.

 YV : c’est un enfant qui va rester muet ?

 ML : oui, ou qui vont rester juste avec quelques mots. Il faut espérer qu’ils démarrent. Si on le dit à l’avance, c’est fichu, mais on sait bien qu’il y a toute une forme d’autisme profond, qu’ils n’atteindront pas le langage, qui n’auront pas de jeux et qui resteront dans un monde solitaire, isolé, cette fameuse bulle sensorielle.

 YV : très enfermé ; j’imagine que ce sont des cas que l’on détecte très tôt, rapidement après la naissance.

 ML : C’est une question compliquée que vous me posez là car il y deux temps d’apparition : une forme d’autisme que l’on peut diagnostiquer très tôt, il m’est arrivé de diagnostiquer ou en tout cas supposer, on ne l’affirme pas à cet age en tout cas soupçonner des cas d’autisme à 4 mois. Il y a donc des formes qui sont repérées la première année, mais le plus couramment les formes se repèrent à partir de la deuxième année, et ça c’est un mystère : pourquoi beaucoup de formes d’autisme ne semblent surgir que dans la deuxième année ?

 YV : tout semble bien aller jusqu’à 24 mois ML : puis il y a une sorte de stagnation, l’enfant se met à ne plus communiquer.

 YV : il régresse?

 ML : on ne peut pas dire qu’il régresse, il y a des signes insolites qui apparaissent, en tout cas la progression ne se fait plus.

 YV : et ça arrive dans un ciel parfaitement bleu ?

 ML: c’est là où nous ne pouvons pas l’affirmer. Nous disposons de plus en plus de vidéo, les parents ont des caméscopes, nous leur demandons systématiquement s’ils ont des vidéos familiaux et nous les observons. Parfois nous constatons qu’il y avait des signes avant mais qu’ils n’étaient pas suffisamment marqués. Mais dans un bon nombre de cas, on a beau analyser les vidéos sous toutes les coutures, on ne voit pas d’anomalie et en effet à un moment donné on voit cet enfant qui ne regarde plus, qui perd un certain nombre de ses acquis..

 YV : Il y a des formes d’autisme plus légères.

 ML souvent quand l’enfant a fait un certain nombre d’acquisitions pendant ses deux premières années, il peut s’appuyer dessus. Ces formes secondaires sont moins sévères que lorsque l’enfant est repéré pendant les premiers mois de son existence. Donc il y a l’autisme profond et puis il y a des formes plus légères, ce qu’on appelle maintenant l’autisme à haut niveau. Cela concerne des enfants qui finissent par acquérir le langage, des processus symboliques dans le dessin, des modes d’expression différentes, mais qui restent entravés dans les processus de communication réciproque, qui vont aller à l’école, dans l’école régulière ou parfois dans l’école régulière avec un accompagnement individuel, parfois qui vont avoir besoin d’un temps de classe spéciale mais qui vont arriver à faire des activités académiques.

 YV : qui vont faire un bout de chemin dans la vie...

 ML : un bout de chemin et pour lesquels le diagnostic est beaucoup plus favorable. Et puis il y a une forme très particulière qu’on appelle l’Asperger.

YV : c’est quelque chose de mystérieux, de fascinant et curieux ..

ML C’est du nom d’ un Mr Asperger, qui dés 1942, avait repéré, et on avait oublié sa forme. Ce sont des enfants qui sont autistes et qui ont le langage, et non seulement ils ont le langage mais souvent qui ont une forme très très élaborée de langage, très précoce. Seulement on peut utiliser le langage pour communiquer ou on peut utiliser le langage pour se parler, et ce sont des enfants qui se parlent au lieu de nous parler.

 YV : ça se présente comment pour les parents, avec un enfant qui parle très tôt, le petit génie…

ML qui repère des chiffres qui repère des lettres, on se dit c’est extraordinaire, quelle mémorisation, mais là encore on retrouve la même chose, ils repèrent des isolats mais ont du mal à globaliser. Peu à peu ils y parviennent mais n’ont pas un grand désir de communication réciproque.

YV : la non communication c’est toujours ça.

 ML : la non communication et la communication sur des préoccupations particulières. De la même manière que l’autiste profond ne s’intéresse qu’à la lumière et reste fixé sur la lumière, l’autiste Asperger va être centré sur un seul sujet de préoccupation. Je pense à un adolescent que j’ai et qui s’est spécialisé dans l’Egypte ancienne. Vous ne le collerez pas sur l’Egypte ancienne, Ramsès et tout cela il est incollable, mais si vous lui demandez de sortir de cette préoccupation pour lui demander ce qu’il a fait hier ou de l’intéresser à une émission, qui ne parle pas de l’Egypte ancienne, il ne va pas répondre. Il ne va accepter dans la communication que dans ce monde isolé qu’il a créé. Alors il est aussi dans un bulle.

 YV dans la bulle Egypte ancienne.

 ML J’ai d’ailleurs quelques situations de jeunes gens et de jeunes filles qui sont arrivés à développer des choses intéressantes sur le plan professionnel, mais dans leur profession centrée sur un domaine particulier, ça marche ; évidemment dans leurs relations sentimentales, dans leur communication réciproque, eh bien ils ont beaucoup de mal et ils sont souffrants car ils se rendent compte de cette étrangeté et parmi les autistes qui souffrent le plus je citerai les autistes à haut niveau et les Asperger .

YV : c’est curieux de dire ça : moins ils sont atteints plus ils souffrent ML moins ils sont atteints plus ils s’en rendent compte.

 YV Les Asperger c’est ce qu’on appelle les autistes savants.

 ML : l’autiste savant, c’est encore quelque chose de différent, C’est celui qui a développé dans une zone très très particulière, une capacité. Je pense par exemple à un jeune homme que je continue de suivre quelques fois. Nous nous amusons réciproquement : « si je te donne un rendez-vous un vendredi de mars 2012 peux tu me dire la date ? » il répond : « le 12 ». Il y a là un phénomène étrange, que l’on retrouve chez tous les autistes, il y a des domaines dans lesquels ils deviennent extrêmement brillants. Ça peut être des choses un peu absurdes, par exemple, nous avons parlé de leur capacité à repérer les détails, je pense à cette petite fille qui était capable de repérer la moindre parcelle de plasticine qui pouvait rester dans mon bureau. Comme je savais qu’elle la mangeait cette parcelle, je faisais bien attention, je balayais, elle finissait toujours par en trouver, ce petit détail. On a là un phénomène de surcompensation qui n’aboutit pas à grand-chose, mais il peut y avoir d’autres phénomènes de surcompensation, de type « Rainman » tel que le film l’a présenté.

 YV, dont il faut dire quelque chose, c’est un autisme qui est de très haut niveau.

 ML : de très haut niveau mais dans un domaine très précis. Comme le film est bien fait on voit bien ses problèmes de communication, sa difficulté à comprendre le monde qui l’entoure, à se fixer sur un seul intérêt. Finalement on retrouve les signes dont nous avons parlé.

YV : alors, les causes de l’autisme ? C’est ça la question centrale, 40 ans de travail là-dessus et on n'a toujours pas la réponse.. ML : et non, et c’est justement là une grande souffrance des parents : quand ils nous demandent quelles sont les causes de l’autisme, nous n’en savons rien. Nous pouvons dire que cela se joue dans le cerveau, donc que ça n’est pas d’ordre relationnel, c’est important. Mais quelle zone du cerveau est atteinte ? Il y a eu des progrès.

 YV parce qu’on doit imaginer qu’il s’agit de lésions dans le cerveau?

 ML : il y a un chercheur, Laurent Moteron que je cite parce qu’il fait du bon travail à Montréal, qui fait des recherches à l’hôpital Rivières de prairies, et qui vont dans ce sens avec plein d’autres centres de recherche dans le monde. Ce que nous savons, c’est trois choses : il y a une densité neuronale plus grande chez les autistes que dans la population normale, ce qui fait penser qu’à mesure que se fait la maturation du cerveau .

YV : on perd des neurones .

ML : les neurones se mettent en contact par des prolongations les uns des autres via des éléments qu’on appelle des dendrites et constituent des circuits. Ces circuits une fois qu’ils sont constitués, les neurones autour vont disparaître.

 YV : il y a un élagage, c’est fascinant!

 ML : cet élagage se fait anormalement chez l’enfant autiste, ça c’est un élément que maintenant nous possédons. Une autre chose que nous savons aussi est que dans le cerveau une zone particulière permet de repérer les objets animés, et une autre zone qui repère les objets inanimés. Chez les autistes, la zone des objets inanimés hyper fonctionne et la zone des objets animés fonctionne en dessous de la normale. Un troisième handicap que le CNRS en France vient de mettre en évidence est que le repérage de la voix se fait mal. A partir de ça toutes les modulations qui sont habituelles ne réagissent pas dans une certaine zone du cerveau comme chez l’enfant normal.

 YV : et ça aussi à cause du mauvais fonctionnement de certains circuits dans certaines zones du cerveau.

 ML : probablement. Nous savons aussi qu’il y a des facteurs génétiques. C’est une certitude car quand il y a deux jumeaux vrais, le deuxième jumeau, dans une proportion extrêmement significative, est atteint d’autisme comme le premier ; mais pas tous les jumeaux vrais. Donc ça montre bien que le facteur génétique pèse lourd mais n’est pas la seule explication. Mais tout ceci quand on l’additionne ne constitue pas une explication spécifique et il est probable que ce que l’on met actuellement sous les termes d’autisme et de troubles envahissants du développement, c’est un dysfonctionnement cérébral créé par des causes multiples, où finalement les différentes zones cérébrales n’arrivent pas à entrer fonctionnellement en relation harmonieuse les unes par rapport aux autres et à partir de cela déclenchent les perturbations neuro-perceptuelles dont je viens de parler.

YV: il faut redire un mot des explications psychanalytiques et là vous êtes très sévère avec cette approche, cette explication, ces opinions psychanalytiques comme vous dites : il y a bien des failles dans ces interprétations, cela ne correspond pas à notre expérience clinique, ça ne tient pas la route ; un message dramatique a été envoyé pendant des décennies aux parents d’enfants autistes : vous êtes responsables. C’est pas bon. Vous écrivez cette page : « la psychanalyse est injuste, injustifiée, souvent passionnelle, elle doit être une fois pour toute déchirée »...vous êtes dur !

ML : à la fois je suis dur et pas dur, j’ai une formation psychanalytique, je m’appuie sur la psychanalyse pour expliquer bien d’autres troubles ; si je parlais des troubles de l’attachement avec vous aujourd’hui, je ferais beaucoup allusion à la psychanalyse pour vous permettre de comprendre ces troubles.

YV : mais on parle de l’autisme.

 ML : dans le cas de l’autisme je crois que la psychanalyse s’est trompée, mais il faut lui reconnaître que les psychanalystes ont été les premiers à s’occuper de l’autisme, ils ont été les premiers à dire : c’est peut-être traitable, il ne faut pas l’oublier ; ils ont créé(s) des structures, non seulement de psychothérapie mais de soins de jour, qui ont apporté, compte tenu de l’écoute qu’ils avaient vis-à-vis de l’enfant, qui ont apporté des choses importantes. Ils ont tenté de comprendre les représentations que certains sujets disaient en essayant d’en décoder le sens. Il faut reconnaître tout cela , c’est important, mais ceci étant dit, le message de la psychanalyse qui a longtemps été de dire, et encore hélas chez beaucoup d’auteurs français, français de France, de dire l’autisme peut être créé par des désirs inconscients, mortifères, des parents, par des troubles où le parent maintient l’enfant dans une symbiose de telle sorte qu’il ne peut pas se tourner vers le père, et de là qu’il ne peut pas naître à une vie psychique, ces hypothèses là, je suis très sévère à leur égard, elles culpabilise les parents, elles ne collent absolument pas avec les observations que nous avons pu faire sur maintenant près de 600 enfants, et oui, sur ce plan là je suis très sévère en disant : il faut tourner cette page et aller vers ailleurs.

 YV : dernière partie de cet entretien en parlant de ce qu’il faut faire, des approches thérapeutiques, et d’abord sur ce que vous dites aux parents, sachant que dans ce domaine là il n’y a pas de solution miracle, c’est bien clair.

 ML : il n’y a pas de solution miracle, et dans une maladie mentale dont on ne connaît pas la cause, il y a beaucoup d’escrocs, beaucoup de charlatans, beaucoup d’illuminés qui proposent des solutions, des diètes miracles… qui créent à partir de là de faux espoirs. Il faut le dénoncer aussi fort que ce que je dénonçais tout à l’heure des causes psychogènes de l’autisme. Ceci étant nous avons tout de même fait de grands progrès et grâce beaucoup aux(s) associations de parents qui se sont accrochées et réclamé qu’il y ait des approches pour les tout(s) petits, des garderies spécialisées, qu’il y ait des classes spécialisées, que des méthodes d’approche puissent être essayées. Ce que je regrette c’est que ces méthodes s’isolent et qu’on ne puissent associer toutes ces méthodes pour permettre le plus possible que l’enfant autiste progresse. Ce que je voudrais souligner c’est qu’il se fait des choses, pas en nombre suffisant, mais plus l’enfant grandit, plus on se retrouve avec peu de possibilités d’intervention.

 YV : parce qu’on peut aider les bébés.

 ML : et les enfants pendant la période de latence, mais quand ils arrivent à l’adolescence, et surtout à l’age adulte, on se retrouve, dramatiquement à l’heure actuelle, avec très peu de moyens.

YV : je sois bien que vous êtes pédopsychiatre mais dans votre livre vous ne parlez absolument pas des autistes adultes, qu’est-ce qu’ils vont devenir ?

 ML : un certain nombre peuvent s’intégrer à la société, je parle des autistes à haut niveau, je parle des autistes Asperger ; d’autres qui sont des autistes profonds parviennent à s’intégrer dans des centres d’aide de type atelier protégé, dans la mesure où il en existe, et peuvent alors retrouver un sens à leur vie et une estime d’eux-mêmes, et puis d’autres se retrouvent à la charge de leur famille, qui panique à l’idée de ce qu’ils vont devenir quand nous allons disparaître, et encore trop de ces adultes autistes se retrouvent dans la rue –ne nous faisons pas d’illusion- soit se retrouvent dans des sections d’hôpitaux psychiatriques qui n’ont pas été créés pour eux. Là il y a un drame que je veux fortement souligner.

 YV c’est une autre des grandes misères de la santé mentale dans notre société, ce qui veut dire qu’on ne fait pas assez pour ces enfants là, pour ces adolescents l à, pour ces grands là, et on ne fait pas assez pour les parents, j’imagine ?

 ML : non, et ces parents se retrouvent très souvent dans une très grande solitude, dans une difficulté d’avoir des lieux d’évaluation rapide, des lieux de traitement rapide, les listes d’attente sont encore très grandes. Il y a eu des progrès qui ont été faits, par exemple la création des CRDI, les Centres de Réadaptation aux Déficiences Intellectuelles, qui acceptent aussi les autistes à haut niveau. Les systèmes scolaires ont fait de gros efforts en créant des classes pour des enfants présentant des troubles envahissants du développement et des classes pour enfants autistes. C’est vrai dans une région comme celle de Montréal,mais c’est pas suffisant, mais plus on s’éloigne de Montréal, plus on entre..

YV : dans le désert des services...

 ML : à ce moment là on se retrouve effectivement dans un désert.

YV mais ce que vous dites, c’est que ces enfants quand on les prend quand on les suit, quand on leur propose de la psychothérapie, de l’ergothérapie, de l’orthophonie, quand on fait un service multidisciplinaire, comme vous faites chez vous, on peut les faire avancer, on peut faire quelque chose quand même pour eux.

 ML: absolument, et ce sera peut être le mot de la fin, toutes les fois que, quelque soit la pathologie,-que ce soit l’autisme, la psychose, d’autres handicaps, la déficience mentale- toutes les fois qu’il y a eu des gens qui ont cru que c’était possible, on a fait reculer l’impossible.

 YV c’est une bonne leçon à retenir, et pour conclure, j’aimerais lire la toute fin de votre livre, vous dites : ces enfants là nous apprennent quelque chose, vous ont appris quelque chose et c’est étonnant de dire que ces enfants qui ne communiquent pas, ces petits enfants autistes qui ont tant de mal à supporter les changements, dont les moyens d’expressions sont sis profondément altérés, ils nous forcent, malgré nos résistances, à modifier nos conceptions en matière de communiquer les uns avec les autres ; eux qui ne savent pas communiquer nous apprendraient à mieux communiquer, ou à communiquer différemment ?

 ML : je suis persuadé que la fonction sociale des handicapés c’est de nous faire changer sur le plan social.

 YV: Docteur Michel Lemay je vous remercie infiniment d’être venu en studio avec nous pour parler de cette maladie, ce handicap qu’on appelle l’autisme et de parler de votre livre « L’autisme aujourd’hui ».

Pour en savoir plus, voir le site web : www.radio-canada.ca/actualite/v2/anneeslumiere/niveau2_1203.shtml

Date de cet article : 2006-11-03


Philippe Fabry » Formation » Les problématiques du travail social » L'autisme aujourd'hui : les travaux de Michel Lemay et de son équipe à l’hôpital Sainte Justine (Montréal)